Kleopatra, un astéroïde triple en forme d'os pour chien détaillé par un télescope géant
Grâce au Very Large Telescope de l'Observatoire européen austral (VLT de l'ESO) et surtout de l'instrument Sphere l'équipant, des astronomes ont acquis les images les plus détaillées à ce jour de l'astéroïde triple (216) Cléopâtre, aussi nommé Kleopatra. Ces observations ont permis de contraindre sa forme tridimensionnelle semblable à un os pour chien. En bonus, elles fournissent des informations pour comprendre la genèse de cet astéroïde doté de deux lunes.
Les astéroïdes et les comètes fascinent.
Ils sont aussi à l'origine d'au moins une grande crise biologique sur Terre, celle qui a vu la disparition des dinosaures et c'est pourquoi on cherche aujourd'hui à détecter les astéroïdes géocroiseurs et en particulier les quelque 4.700 d'entre eux potentiellement dangereux, appelés des PHA (Potentially Hazardous Asteroids).
Une autre raison de s'intéresser aux géocroiseurs et que certains d'entre eux, riches en métaux ou en eau, sont des cibles toutes trouvées pour l'exploitation future des astéroïdes.
Parmi les chercheurs qui étudient les astéroïdes, il en est un qui est bien connu des lecteurs de Futura : l'astronome français Franck Marchis.
Membre de l'Institut Seti à Mountain View (Californie), spécialiste également des volcans sur Io et très impliqué dans l'imagerie directe d'exoplanètes, c'est aussi un des membres de la start-up française appelée Unistellar à l'origine d'un nouveau type de télescope à destination du grand public.
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Or, en 2008, en utilisant la technique d'optique adaptative disponible avec le Keck Observatory, Franck Marchis et ses collègues Pascal Descamps, Jérôme Berthier et Joshua P. Emery avaient fait la découverte de deux petites lunes autour de l'astéroïde (216) Cléopâtre dont la désignation internationale est (216) Kleopatra.
(216) Cléopâtre, un astéroïde triple
Kleopatra revient aujourd'hui sur le devant de la scène avec un communiqué de l'ESO qu'accompagnent deux publications que l'on peut trouver en accès libre sur arXiv.
Dans celui-ci, Franck Marchis, qui est également associé au Laboratoire d'astrophysique de Marseille (France) et qui a dirigé l'étude sur cet astéroïde publié dans la revue Astronomy & Astrophysics, explique que « "Kleopatra est un corps véritablement unique dans notre Système solaire."
Kleopatra avait déjà attiré l'attention au XXe siècle lorsque les premières observations avec le télescope de 3,6 mètres de l'ESO à La Silla avaient montré deux lobes, lobes que des observations radar menées avec le radiotélescope d'Arecibo montraient qu'ils étaient liés et donnaient à l'astéroïde une étonnante forme d'os pour chien.
Une forme que n'imaginait sans doute pas l'astronome autrichien Johann Palisa à l'observatoire naval autrichien de Pola, dans l'actuelle Pula, en Croatie, lorsqu'il a fait la découverte de (216) Cléopâtre le 10 avril 1880.
Un astéroïde métallique mais « poreux »
Kleopatra orbite autour du Soleil à l'intérieur de la fameuse ceinture d'astéroïdes située entre Mars et Jupiter.
C'est pour mieux le connaître que Marchis et son équipe ont utilisé des clichés de l'astéroïde acquis par l'instrument Sphere (Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet REsearch) sur le VLT de l'ESO, à l'occasion de différentes campagnes d'observations entre 2017 et 2019.
Ces observations ont confirmé que l'astéroïde tournait sur lui-même mais qu'il avait une longueur d'environ 270 kilomètres.
La meilleure détermination des orbites de ses lunes a conduit à une connaissance plus précise de sa masse qui est plus légère que celle qu'on lui attribuait auparavant.
Cette estimation et l'albédo de Kleopatra laissent donc penser que l'astéroïde est un agrégat lâche avec des vides d'un matériau métallique, ce qui peut s'expliquer par une collision passée ayant mis en pièces les corps célestes impliqués, les débris s'étant ensuite rassemblés sous l'influence de leur gravitation.
La connaissance plus précise des orbites des deux lunes de Kleopatra provient du travail de l'équipe menée par Miroslav Brož de l'université Charles de Prague en République tchèque, et qui a donné lieu également à une publication dans Astronomy & Astrophysics.
(216) Cléopâtre au bord de la rupture ?
La nouvelle détermination de la structure de Kleopatra permet un rapprochement avec un scénario déjà proposé pour expliquer l'origine des astéroïdes binaires, scénario déjà exposé dans le précédent article ci-dessous.
On peut donc penser que les deux lunes sont des blocs ou des assemblages de bloc éjectés par la rotation de Kleopatra.
En ce qui concerne l'avenir des études pour cet astéroïde triple, on disposera bientôt d'un bond considérable dans la résolution des observations dans le visible sur Terre avec la mise en service de l'Extremely Large Telescope (ELT) de l'ESO, lui aussi capable de faire de l'optique adaptative.
Un des premiers à comprendre le potentiel de cette technique d'observation, Franck Marchis, ne s'y trompe certainement pas en ce qui concerne le potentiel des découvertes bientôt possible avec ce géant en construction ": « J'ai hâte de pointer l'ELT en direction de Kleopatra, de voir s'il est entouré d'autres lunes et d'affiner leurs orbites respectives afin de détecter d'infimes changements."